Lettre ouverte concernant la position de la Suisse face aux attaques en Méditerranée

Lausanne le 25 septembre 2025


Monsieur le Conseiller fédéral,

Je choisis de vous écrire la présente aujourd’hui pour vous faire part de mon ressenti de citoyenne. Je souhaite, plus précisément, vous faire part de mon indignation et de ses raisons.

Je dois avouer me sentir pour le moins étonnée par la politique que votre département mène actuellement en ce qui concerne l’action humanitaire de la flottille, appelée Global Sumud Flotilla, faisant voile vers la ville de Gaza, en territoire palestinien – et sur laquelle se trouvent, selon la représentation suisse1 de celle-ci, 20 ressortissants et ressortissantes suisses et 5 résidents et résidentes suissesrépartis sur sept voiliers.

En effet, je suis fort surprise de lire et d’être témoin sur les réseaux sociaux des attaques subies par les navigants et de n’avoir vu aucun communiqué officiel de la part de votre département. Autrement dit, la flottille, à laquelle des citoyens et citoyennes suisses prennent part, a été prise pour cible, à trois reprises, par des attaques militaires, en eaux internationales, et nous autres concitoyens – peu importe ici nos convictions géopolitiques – constatons que, devant une telle rupture du droit international, le département en charge de notre protection à l’étranger et pour lequel nous payons des impôts, reste silencieux. 

Le problème désormais n’est donc plus seulement que la flottille, à laquelle nos concitoyens et concitoyennes participent, ait été attaquée en mer, mais qu’elle l’ait été sans que leur propre gouvernement ne prenne publiquement position. En laissant les réseaux sociaux et la presse étrangère informer avant vous, le DFAE affaiblit sa crédibilité et la confiance des citoyens et citoyennes en leur protection, tout en renvoyant à l’extérieur l’image d’un pays faible, voire complaisant, face à une violation flagrante du droit international.

Et avant même que l’on invoque notre neutralité, je tiens à rappeler que, d’une part, celle-ci ne rime pas avec inaction. D’autre part, elle s’applique aux conflits entre États tiers, non à nos ressortissants et ressortissantes. Elle a aussi pour vertu de protéger la Suisse et ses ressortissants. À quoi sert-elle donc, dans ce cas, si nous restons muets quand les nôtres sont attaqués en mer ?

Selon mes informations, la flottille, à laquelle participent des bateaux battant pavillon suisse, a subi des attaques dans les nuits des 8 et 9, ainsi que 9 et 10 septembre, au large de la Tunisie, puis 23 et 24 septembre 2025, en eaux internationales, au large des côtes grecques.

Selon les témoignages et vidéos, ces attaques, menées par des drones d’origine inconnue, ont provoqué des explosions et des incendies, et répandu des produits chimiques sur plusieurs bateaux ; du piratage électronique, provoquant interférences, brouillage et accaparement des canaux de communication ont également eu lieu. Ces actes constituent une atteinte grave à la liberté de navigation et au droit international maritime, d’autant plus préoccupante qu’ils visaient explicitement des civils et une mission humanitaire.

Je n’ai pas souvenir qu’il soit normal, ni banal, qu’en mer méditerranéenne des bateaux civils essuient pareilles agressions, qui plus est répétées.

J’apprends aujourd’hui – par la presse, et non par un communiqué officiel de votre département – que vous vous positionnez enfin sur la question de la protection diplomatique desdits ressortissants et ressortissantes suisses à bord de la flottille. Cela semble-t-il, non pas spontanément, mais en réponse à une question de journalistes. Et cela, apparemment, après une certaine pression populaire. Nous y apprenons notamment que le DFAE déclare « accorder une grande attention à la protection des ressortissants suisses et être en contact avec les autorités israéliennes tant à Tel-Aviv qu’à Berne »2. Nous apprenons également que plusieurs démarches ont été entreprises, pour exiger le strict respect du droit international. « Le DFAE a encore rappelé mercredi [24.9.2025] aux autorités israéliennes à Berne leurs obligations, à savoir respecter les principes de nécessité et de proportionnalité. La protection des civils doit en tout temps être assurée. »3

Mais tout ceci, près de 48 heures après la dernière attaque, ne s’est toujours pas traduit en communiqué officiel, ni en mesures publiques fermes et concrètes.

Si je lis avec un certain soulagement que votre département s’exprime enfin et agit, je me dois d’être franche : à mon opinion, vous communiquez trop tard, pas par les bons canaux et, surtout, faites le strict minimum. 

J’insiste particulièrement sur ce dernier point : la Suisse cultive depuis longtemps son image d’un pays où les principes humanitaires sont prioritaires. Cette image participe fortement à sa protection et à son crédit, sur la scène internationale, comme dans l’opinion publique, ainsi qu’à la protection et au respect de ses citoyens et citoyennes en visite à l’étranger.

En tant que citoyenne suisse, je ne peux donc que profondément déplorer la tiédeur des actions actuelles du DFAE. Cela, alors même qu’une semaine auparavant, le 16 septembre, à Genève – soit sur sol suisse –, la Commission d’enquête internationale indépendante de l’ONU, présidée par une ancienne juge dans l’affaire de génocide du Rwanda, rendait un verdict clair après une enquête de deux ans : un génocide a lieu à Gaza. Cette commission est allée jusqu’à pointer l’auteur.4

Dès lors, et à mon humble opinion, la Suisse ne peut plus se permettre une politique tiède vis-à-vis de l’aide humanitaire en partance pour la ville de Gaza.

En effet, l’Espagne et l’Italie ont déjà agi de façon très concrète en envoyant un navire de la marine, pour l’une, et une frégate, pour l’autre. Ce que je constate donc ici, c’est que la Suisse est à la traîne. Autrement dit, l’Italie et l’Espagne nous ont devancés en matière d’action claire et officielle quant à la sécurité civile et le respect du droit international et humanitaire.

Si nous restons en retrait, alors même que d’autres nations s’engagent, nous trahirons non seulement notre tradition humanitaire, mais nous perdrons aussi à la fois notre légitimité et notre réputation sur la scène internationale.

Je me permets donc, par mes propres moyens et à mon niveau, de vous enjoindre à revoir votre stratégie diplomatique et de communication concernant cette affaire et de penser également en termes de crédibilité morale future et de capital éthique de notre pays sur la scène internationale, ainsi qu’au plan domestique. 

Si je ne m’attends certes pas à ce que la Suisse déploie un navire militaire à l’image de l’Italie ou de l’Espagne, je m’attends tout de même à ce que mon pays fasse au moins preuve de la même fermeté, voire de la même audace, en matière de droit humanitaire que celles qui ont fait sa réputation par le passé. Nous sommes dépositaires des Conventions de Genève et, à ce titre, nous avons une responsabilité dans l’écriture de l’histoire. Dès lors, et même si cela implique de froisser momentanément un Etat tiers comme cela est déjà arrivé, nous nous devons d’exiger les accès humanitaires.

Je prierais donc aujourd’hui le DFAE de ne pas trahir notre tradition humanitaire de plusieurs décennies et de faire preuve de cohérence vis-à-vis de notre héritage. Je vous exhorte donc à :

  1. Publier un communiqué officiel clair et immédiat, condamnant les attaques subies en eaux internationales et affirmant explicitement le droit des ressortissants et ressortissantes suisses à être protégés, indépendamment de leurs choix d’engagement humanitaire.

  2. Entreprendre des démarches diplomatiques fermes, incluant une protestation formelle auprès des autorités concernées et la saisine des instances internationales compétentes.

  3. Mettre en place une protection consulaire renforcée pour les Suisses de la flottille, avec suivi proactif et présence diplomatique dans les ports d’escale.

  4. Réaffirmer publiquement l’alignement de la Suisse sur ses valeurs humanitaires, telles qu’incarnées par les Conventions de Genève et notre tradition de neutralité active.

  5. Garantir un suivi parlementaire et une transparence en rendant compte publiquement des démarches entreprises et en informant les citoyens et citoyennes directement, et non seulement par voie de presse.

Vous avez une réputation, un héritage et des concitoyens et concitoyennes à protéger. 

Je vous remercie de votre attention et de la suite portée au présent courrier.

Je vous prie de croire, Monsieur le Conseiller fédéral, à l’expression de mes salutations distinguées.



Emilie Bétrix



1https://waves-of-freedom.ch/fr/
2. Monfrini, Judith, « La flottille pour Gaza aurait subi des attaques de drones ». Tribune de Genève, 25.9.2025, p. 17.
3. Idem.
4. Conférence de presse disponible en anglais sur YouTube: https://youtu.be/trUcK8hHaIA?si=QJL95zGsYEiUHu0l


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